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se sauvait, on s’échappait, on était brutalement gai. L’un riait, l’autre chantait. Ce rire était sec, mais libre ; ce chant était bas, mais insouciant.

Le languedocien criait : caougagno ! « Cocagne ! » est le comble de la satisfaction narbonnaise. C’était un demi-matelot, un naturel du village aquatique de Gruissan sur le versant sud de la Clappe, marinier plutôt que marin, mais habitué à manœuvrer les périssoires de l’étang de Bages et à tirer sur les sables salés de Sainte-Lucie la traîne pleine de poisson. Il était de cette race qui se coiffe du bonnet rouge, fait des signes de croix compliqués à l’espagnole, boit du vin de peau de bouc, tette l’outre, racle le jambon, s’agenouille pour blasphémer, et implore son saint patron avec menaces : Grand saint, accorde-moi ce que je te demande, ou je te jette une pierre à la tête, « ou té feg’ un pic ».

Il pouvait, au besoin, s’ajouter utilement à l’équipage. Le provençal, dans la cambuse, attisait sous une marmite de fer un feu de tourbe, et faisait la soupe.

Cette soupe était une espèce de puchero où le