Page:Hugo - L'Homme qui rit, 1869, tome 1.djvu/156

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sentent-ils l’arrière-goût amer de cette chose obscure pour eux que l’homme plus tard appelle l’indignation.

Ajoutons que l’enfant a ce don d’accepter très vite la fin d’une sensation. Les contours lointains et fuyants, qui font l’amplitude des choses douloureuses, lui échappent. L’enfant est défendu par sa limite, qui est la faiblesse, contre les émotions trop complexes. Il voit le fait, et peu de chose à côté. La difficulté de se contenter des idées partielles n’existe pas pour l’enfant. Le procès de la vie ne s’instruit que plus tard, quand l’expérience arrive avec son dossier. Alors il y a confrontation des groupes de faits rencontrés, l’intelligence renseignée et grandie compare, les souvenirs du jeune âge reparaissent sous les passions comme le palimpseste sous les ratures, ces souvenirs sont des points d’appui pour la logique, et ce qui était vision dans le cerveau de l’enfant devient syllogisme dans le cerveau de l’homme. Du reste l’expérience est diverse, et tourne bien ou mal selon les natures. Les bons mûrissent. Les mauvais pourrissent.

L’enfant avait bien couru un quart de lieue, et