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Car, pour l’âme aux destins ignorés asservie,
Il est deux horizons d’attente, sans combats,
L’un avant, l’autre après le passage ici-bas ;
Le berceau cache l’un, la tombe cache l’autre.
Je pense à cette sphère inconnue à la nôtre
Où, comme un pâle essaim confusément joyeux,
Des flots d’âmes en foule ouvrent leurs vagues yeux ;
Puis, je regarde Jeanne, ange que Dieu pénètre,
Et les petits garçons jouant sous ma fenêtre,
Toute cette gaîté de l’âge sans douleur,
Tous ces amours dans l’œuf, tous ces époux en fleur ;
Et je médite ; et Jeanne entre, sort, court, appelle,
Traîne son petit char, tient sa petite pelle,
Fouille dans mes papiers, creuse dans le gazon,
Saute et jase, et remplit de clarté la maison ;
Son rire est le rayon, ses pleurs sont la rosée.
Et dans vingt ans d’ici je jette ma pensée,
Et de ce qui sera je me fais le témoin,
Comme on jette une pierre avec la fronde au loin.

Une aurore n’est pas faite pour rester seule.

Mon âme de cette âme enfantine est l’aïeule,
Et dans son jeune sort mon cœur pensif descend.