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S’assoupit ; tout se tait, hommes, femmes, enfants,
Les sanglots, les éclats de rire triomphants,
Les pas, les chars, le quai, le carrefour, la grève,
Les mille toits d’où sort le murmure du rêve,
L’espoir qui dit je crois, la faim qui dit je meurs ;
Tout fait silence ; ô foule ! indistinctes rumeurs !
Sommeil de tout un monde ! ô songes insondables !
On dort, on oublie… - Eux, ils sont là, formidables.

Tout à coup on se dresse en sursaut ; haletant,
On prête l’oreille, on se penche… - on entend
Comme le hurlement profond d’une montagne.
Toute la ville écoute et toute la campagne
Se réveille ; et voilà qu’au premier grondement
Répond un second cri, sourd, farouche, inclément,
Et dans l’obscurité d’autres fracas s’écroulent,
Et d’échos en échos cent voix terribles roulent.
Ce sont eux. C’est qu’au fond des espaces confus,
Ils ont vu se grouper de sinistres affûts,
C’est qu’ils ont des canons surpris la silhouette ;
C’est que, dans quelque bois d’où s’enfuit la chouette,
Ils viennent d’entrevoir, là-bas, au bord d’un champ,
Le fourmillement noir des bataillons marchant ;
C’est que dans les halliers des yeux traîtres flamboient.

Comme c’est beau ces forts qui dans cette ombre aboient !