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L'année terrible.


Nous rêvions les combats énormes de la nuit ;
Nous rêvions ces chaos de colère et de bruit
Où l’ouragan s’attaque à l’océan, où l’ange,
Etreint par le géant, lutte, et fait un mélange
Du sang céleste avec le sang noir du titan ;
Nous rêvions Apollon contre Léviathan ;
Nous nous imaginions l’ombre en pleine démence ;
Nous heurtions, dans l’horreur d’une querelle immense,
Rosbach contre Iéna, Rome contre Alaric,
Le grand Napoléon et le grand Frédéric ;
Nous croyions voir vers nous, en hâte, à tire d’ailes,
Les victoires voler comme des hirondelles
Et, comme l’oiseau court à son nid, aller droit
A la France, au progrès, à la justice, au droit ;
Nous croyions assister au choc fatal des trônes,
A la sinistre mort des vieilles Babylones,
Au continent broyé, tué, ressuscité
Dans une éclosion d’aube et de liberté,
Et voir peut-être, après de monstrueux désastres,
Naître un monde à travers des écroulements d’astres !

Ainsi nous songions. Soit, disions-nous, ce sera
Comme Arbelle, Actium, Trasimène et Zara,
Affreux, mais grandiose. Un gouffre avec sa pente,
Et l’univers tout près du bord, comme à Lépante,
Comme à Tolbiac, comme à Tyr, comme à Poitiers.
La Colère, la Force et la Nuit, noirs portiers,
Vont ouvrir devant nous la tombe toute grande.