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L'année terrible.


Ton phare est allumé sur le mont des Géants ;
Comme l’aigle de mer qui change d’océans,
Tu passas tour à tour d’une grandeur à l’autre ;
Huss le sage a suivi Crescentius l’apôtre ;
Barberousse chez toi n’empêche pas Schiller ;
L’empereur, ce sommet, craint l’esprit, cet éclair.
Non, rien ici-bas, rien ne t’éclipse, Allemagne.
Ton Vitikind tient tête à notre Charlemagne,
Et Charlemagne même est un peu ton soldat.
Il semblait par moments qu’un astre te guidât ;
Et les peuples t’ont vue, ô guerrière féconde,
Rebelle au double joug qui pèse sur le monde,
Dresser, portant l’aurore entre tes poings de fer,
Contre César Hermann, contre Pierre Luther.
Longtemps, comme le chêne offrant ses bras au lierre,
Du vieux droit des vaincus tu fus la chevalière ;
Comme on mêle l’argent et le plomb dans l’airain,
Tu sus fondre en un peuple unique et souverain
Vingt peuplades, le Hun, le Dace, le Sicambre ;
Le Rhin te donne l’or et la Baltique l’ambre ;
La musique est ton souffle ; âme, harmonie, encens,
Elle fait alterner dans tes hymnes puissants
Le cri de l’aigle avec le chant de l’alouette ;
On croit voir sur tes burgs croulants la silhouette
De l’hydre et du guerrier vaguement aperçus
Dans la montagne, avec le tonnerre au-dessus ;
Rien n’est frais et charmant comme tes plaines vertes ;
Les brèches de la brume aux rayons sont ouvertes,