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Une minute peut blesser un siècle, hélas !
Je plains ces hommes d’être attendus par l’histoire.

Comme elle frémira la grande muse noire,
Et comme elle sera stupéfaite de voir
Qu’on cloue au pilori ceux qui font leur devoir,
Que le peuple est toujours pâture, proie et cible,
Que la tuerie en masse est encore possible,
Et qu’en ce siècle, après Locke et Voltaire, ont pu
Reparaître, dans l’air tout à coup corrompu,
Les Fréron, les Sanchez, les Montluc, les Tavannes,
Plus nombreux que les fleurs dans l’herbe des savanes !

Peuple, tu resteras géant malgré ces nains.
France, un jour sur le Rhin et sur les Apennins,
Ayant sous le sourcil l’éclair de Prométhée,
Tu te redresseras, grande ressuscitée !
Tu surgiras ; ton front jettera les frayeurs,
L’épouvante et l’aurore à tes noirs fossoyeurs ;
Tu crieras : Liberté ! Paix ! Clémence ! Espérance !
Eschyle dans Athène et Dante dans Florence
S’accouderont au bord du tombeau, réveillés,
Et te regardant, fiers, joyeux, les yeux mouillés,
Croiront voir l’un la Grèce et l’autre l’Italie.
Tu diras : Me voici ! j’apaise et je délie !
Tous les hommes sont l’Homme ! un seul peuple ! un seul Dieu !
Ah ! par toute la terre, ô patrie, en tout lieu,
Des mains se dresseront vers toi ; nulle couleuvre,