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O poëte, chercheur du mieux, tu perds le bien.
Il t’échappe. Tu fais échouer Tout sur Rien.
Laisse donc succomber les choses qui succombent !
Ta pente est de toujours aller vers ceux qui tombent,
Ce qui fait que jamais tu ne seras vainqueur.
N’a pas assez d’esprit qui montre trop de cœur.
La vérité trop vraie est presque le mensonge.
En cherchant l’idéal, on rencontre le songe,
Si l’on plonge au-delà de l’exacte épaisseur ;
Et l’on devient rêveur pour être trop penseur.
Le sage ne veut pas être injuste, mais, ferme,
Craint d’être aussi trop juste, et cherche un moyen terme ;
Premier écueil, le faux ; deuxième écueil, le vrai.
Le droit brut, pris en bloc, n’est que le minerai ;
La loi, c’est l’or. Du droit il faut savoir l’extraire.
Quelquefois on a l’air de faire le contraire
De ce qu’on devrait faire, et c’est là le grand art.
Tu n’arrives jamais, et moi j’arrive tard ;
Mieux vaut arriver tard que pas du tout. En somme,
Tu fais de l’homme un dieu, de dieu je fais un homme ;
Voilà la différence entre nous. Réfléchis.
Tu braves le chaos, moi je crains le gâchis.
Es-tu sûr de finir par tirer de ton gouffre
Autre chose qu’un être imbécile qui souffre ?
Crois-tu refaire à neuf l’homme et tripler ses sens ?
Prends-moi donc tels qu’ils sont les vivants, ces passants !
Foin du déclamateur qui s’essouffle et qui beugle !
Trop de lumière autant que trop de nuit, aveugle.