Page:Hugo - L'Année terrible, 1872.djvu/260

Cette page n’a pas encore été corrigée

Etre jeté là, triste, inquiet, tremblant, nu,
Chiffre quelconque au fond d’une foule livide,
Dans la brume, l’orage et les flots, dans le vide,
Pêle-mêle et tout seul, sans espoir, sans secours,
Ayant au cœur le fil brisé de ses amours !
Dire : — « Où suis-je ? On s’en va. Tout pâlit, tout se creuse,
Tout meurt. Qu’est-ce que c’est que cette fuite affreuse ?
La terre disparaît, le monde disparaît.
Toute l’immensité devient une forêt.
Je suis de la nuée et de la cendre. On passe.
Personne ne va plus penser à moi. L’espace !
Le gouffre ! Où sont-ils ceux près de qui je dormais ! » -
Se sentir oublié dans la nuit pour jamais !
Devenir pour soi-même une espèce de songe !
Oh ! combien d’innocents, sous quelque vil mensonge
Et sous le châtiment féroce, stupéfaits !
— Quoi ! disent-ils, ce ciel où je me réchauffais,
Je ne le verrai plus ! on me prend la patrie !
Rendez-moi mon foyer, mon champ, mon industrie,
Ma femme, mes enfants ! rendez-moi la clarté !
Qu’ai-je donc fait pour être ainsi précipité
Dans la tempête infâme et dans l’écume amère,
Et pour n’avoir plus droit à la France ma mère ! —

Quoi ! lorsqu’il s’agirait de sonder, ô vainqueurs,
L’obscur puits social béant au fond des cœurs,
D’étudier le mal, de trouver le remède,
De chercher quelque part le levier d’Archimède,