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S’emplissant de parfums, de murmures d’abeilles,
De chants d’oiseaux, de fleurs, d’extase, de printemps !
Tous devraient être d’aube et d’amour palpitants.
Eh bien, dans ce beau mois de lumière et d’ivresse,
O terreur ! c’est la mort qui brusquement se dresse,
La grande aveugle, l’ombre implacable et sans yeux ;
Oh ! comme ils vont trembler et crier sous les cieux,
Sangloter, appeler à leur aide la ville,
La nation qui hait l’Euménide civile,
Toute la France, nous, nous tous qui détestons
Le meurtre pêle-mêle et la guerre à tâtons !
Comme ils vont, l’œil en pleurs, bras tordus, mains crispées
Supplier les canons, les fusils, les épées,
Se cramponner aux murs, s’attacher aux passants,
Et fuir, et refuser la tombe, frémissants ;
Et hurler : On nous tue ! au secours ! grâce ! grâce !
Non. Ils sont étrangers à tout ce qui se passe ;
Ils regardent la mort qui vient les emmener.
Soit. Ils ne lui font pas l’honneur de s’étonner.
Ils avaient dès longtemps ce spectre en leur pensée.
Leur fosse dans leur cœur était toute creusée.
Viens, mort !

Etre avec nous, cela les étouffait.
Ils partent. Qu’est-ce donc que nous leur avions fait ?
O révélation ! Qu’est-ce donc que nous sommes
Pour qu’ils laissent ainsi derrière eux tous les hommes,
Sans un cri, sans daigner pleurer, sans un regret ?