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Songez-y, ne peut-il perdre enfin patience ?

Le croirait-on ? j’écoute en moi la conscience !
Quand j’entends crier : mort ! frappez ! sabrez ! je vais
Jusqu’à trouver qu’un meurtre au hasard est mauvais ;
Je m’étonne qu’on puisse, à l’époque où nous sommes,
Dans Paris, aller prendre une dizaine d’hommes,
Dire : Ils sont à peu près du quartier qui brûla,
Mitrailler à la hâte en masse tout cela,
Et les jeter vivants ou morts dans la chaux vive ;
Je recule devant une fosse plaintive ;
Ils sont là, je le sais, l’un sur l’autre engloutis,
Le mâle et la femelle, hélas ! et les petits !
Coupables, ignorants, innocents, pêle-mêle ;
Autour du noir charnier mon âme bat de l’aile.
Si des râles d’enfants m’appellent dans ce trou,
Je voudrais de la mort tirer le froid verrou ;
J’ai par des voix sortant de terre l’âme émue ;
Je n’aime pas sentir sous mes pieds qu’on remue,
Et je ne me suis pas encore habitué
A marcher sur les cris d’un homme mal tué ;
C’est pourquoi, moi vaincu, moi proscrit imbécile,
J’offre aux vaincus l’abri, j’offre aux proscrits l’asile,
Je l’offre à tous. A tous ! Je suis étrange au point
De voir tomber les gens sans leur montrer le poing ;
Je suis de ce parti dangereux qui fait grâce ;
Et demain j’ouvrirai ma porte, car tout passe,
A ceux qui sont vainqueurs quand ils seront vaincus ;