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Mon mépris est égal pour la scélératesse
Qu’on tutoie et pour celle à qui l’on dit altesse ;
Je crois, s’il faut choisir, que je préfère encor
Le crime teint de boue au crime brodé d’or ;
J’excuse l’ignorant ; je ne crains pas de dire
Que la misère explique un accès de délire,
Qu’il ne faut pas pousser les gens au désespoir,
Que, si des dictateurs font un forfait bien noir,
L’homme du peuple en est juste aussi responsable
Que peut l’être d’un coup de vent le grain de sable ;
Le sable, arraché, pris et poussé par le vent,
Entre dans le simoun affreux, semble vivant,
Brûle et tue, et devient l’atome de l’abîme ;
Il fait la catastrophe et le vent fait le crime ;
Le vent c’est le despote. En ces obscurs combats,
S’il faut frapper, frappez en haut, et non en bas.
Si Rigault fut chacal, on a tort d’être hyène.
Quoi ! jeter un faubourg de Paris à Cayenne !
Quoi ! tous ces égarés, en faire des forçats !
Non ! je hais l’Ile-aux-Pins et j’exècre Mazas.
Johannard est cruel et Serisier infâme.
Soit. Mais comprenez-vous quelle nuit a dans l’âme
Le travailleur sans pain l’été, sans feu l’hiver,
Qui voit son nouveau-né pâlir, nu comme un ver,
Qui lutte et souffre avec la faim pour récompense,
Qui ne sait rien, sinon qu’on l’opprime, et qui pense
Que détruire un palais, c’est détruire un tyran ?
Que de douleurs ! combien de chômages par an !