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Qui se promènera dans les éternités,
Comme dans les jardins de Versailles Lenôtre ?
Qui donc mesurera l’ombre d’un bout à l’autre,
Et la vie et la tombe, espaces inouïs
Où le monceau des jours meurt sous l’amas des nuits,
Où de vagues éclairs dans les ténèbres glissent,
Où les extrémités des lois s’évanouissent !

Que cette obscure loi du progrès dans le deuil,
Du succès dans la chute et du port dans l’écueil,
Soit vraie ou fausse, absurde et folle, ou démontrée ;
Que, dragon, de l’éden elle garde l’entrée,
Ou ne soit qu’un mirage informe, le certain
C’est que, devant l’énigme et devant le destin,
Les plus fermes parfois s’étonnent et fléchissent.
A peine dans la nuit quelques cimes blanchissent
Que la brume a déjà repris d’autres sommets ;
De grands monts, qui semblaient lumineux à jamais,
Qu’on croyait délivrés de l’abîme, s’y dressent,
Mais noirs, et, lentement effacés, disparaissent.
Toutes les vérités se montrent un moment,
Puis se voilent ; le verbe avorte en bégaiement ;
Le jour, si c’est du jour que cette clarté sombre,
N’a l’air de se lever que pour regarder l’ombre ;
On ne voit plus le phare ; on ne sait que penser ;
Vient-on de reculer, ou vient-on d’avancer ?
Oh ! dans l’ascension humaine, que la marche
Est lente, et comme on sent la pesanteur de l’arche !