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Son ignorance fait sur la terre un brouillard.
Pourquoi ne pas laisser tranquille ce vieillard ?
S’il n’avait ni soldats, ni ducs, ni connétables,
Nous le recevrions volontiers à nos tables ;
Nos verres, sous le pampre, au soleil, en plein vent,
Choqueraient le tien, sire, et tu serais vivant.
Non, l’on t’empaille idole, et l’on te pétrifie
Sous un lourd casque à pointe, et, comme on se défie
Du roi d’en haut jaloux des rois d’en bas, on met,
Sire, un paratonnerre en cuivre à ton sommet ;
Et ton peuple est si fier qu’il t’adore ; on t’affuble
D’un manteau comme on passe au pape une chasuble,
Et te voilà tyran, et nous t’avons sur nous,
Le goût de l’homme étant de se mettre à genoux.
Tu portes désormais l’Etna comme Encelade,
Et comme Atlas le monde. O maître, sois malade,
Infirme, catarrheux, vieux tant que tu voudras,
Claque des dents avec la fièvre entre deux draps,
Qu’importe ? l’univers n’en est pas moins ta chose.
L’Europe est un effet dont tu seras la cause.
Rayonne. A ta cheville aucun héros ne va.
Bossuet jettera sous tes pieds Jehovah ;
Tu seras proclamé Très-Haut en pleine chaire.
Un roi, fût-il un nain, fût-il un pauvre hère,
Hydropique, goitreux, perclus, tortu, fourbu,
Moins ferme sur ses pieds qu’un reître ayant trop bu,
Eût-il morve et farcin, rachis, goutte et gravelle,
Fût-il maigre d’esprit et petit de cervelle,