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J’affirme qu’il serait beaucoup plus à propos
D’aller droit à Néron, et, malgré ses troupeaux
De garde éthiopienne et de garde sicambre,
D’en empoigner chacun tranquillement un membre.
Déshabiller Néron de sa peau de César
Me plairait ; envoyer ma ruade à son char
Me tente ; il sied parfois qu’une griffe efficace
Fouille une majesté jusque dans la carcasse,
Et nous verrions peut-être en vidant ce vainqueur,
Toi, qu’il est sans cervelle, et moi, qu’il est sans cœur.
Mordre son maître est doux ; je pense que nos gueules,
Si la mode en venait, ne resteraient pas seules.
Tout ce tas d’animaux battus, rampant, grondant,
Paierait les coups de fouet avec des coups de dent.
Ce serait beau. La terre est pour nous assez ample ;
Aimons-nous. Mon avis, puisqu’il s’agit d’exemple,
Est d’en donner un bon et non pas un mauvais.
Quant à ce tyran-ci, j’ai faim, et j’y rêvais.
Est-il César ? est-il Néron ? que nous importe !
Quelque tache qu’il ait, quelque laurier qu’il porte,
Frère, il n’éveille en moi que le même appétit ;
Je le dévore grand, je le mange petit.

L’ours n’ayant pas compris ces paroles d’un sage,
Le grand lion clément lui griffa le visage
Et l’éborgna ; si bien que l’ours, devant témoins,
Eut la honte de plus avec un œil de moins.