Page:Hugo - Actes et paroles - volume 8.djvu/43

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
33
BANQUET DU 81e ANNIVERSAIRE.

tous tant que nous sommes, et par l’éclat de son génie, et par l’inépuisable rayonnement de sa bonté. Celui que Chateaubriand saluait à son aurore du nom d’enfant sublime, est devenu un sublime vieillard, sans que l’on ait pu signaler, dans sa longue et magnifique carrière, soit une défaillance du génie, soit un refroidissement du cœur.

Ce n’est pas une médiocre satisfaction pour nous, petits et grands écrivains de la France, de constater que le plus grand des hommes de notre siècle, le plus admiré, le plus applaudi, le plus aimé, n’est ni un homme de guerre, ni un homme de science, ni un homme d’argent, mais un homme de lettres.

Je ne vous dirai rien de son œuvre : c’est un monde. Et les mondes ne s’analysent pas au dessert entre la poire et le fromage. Parlons plutôt de la fonction sociale qu’il a remplie et qu’il remplira longtemps encore, j’aime à le croire, au milieu de nous.

Dès son avènement, ce roi de la littérature a été un roi paternel. Il a laissé venir à lui les jeunes gens, comme avant-hier, dans sa maison patriarcale, il laissait venir à lui nos enfants. Qui de nous ne lui a pas fait hommage de son premier volume ou de son premier manuscrit, vers ou prose ? À qui n’a-t-il pas répondu par une noble et généreuse parole ? Qui n’a pas conservé, dans l’écrin de ses souvenirs, quelques lignes de cette puissante et caressante main ? Des écrivains qu’il a encouragés on formerait, non pas une légion, mais une armée.

Notre pays, messieurs, avait toujours été rebelle à l’admiration. On ne pouvait pas lui reprocher de gâter ses grands hommes. La médiocrité se vengeait du génie en lui tressant des couronnes où les épines ne manquaient pas. Tandis que nos voisins d’Europe mettaient une complaisance visible à idéaliser leurs idoles de chair et d’os, nous prenions un malin plaisir, c’est-à-dire un plaisir national, à martyriser les nôtres. Pour corriger ce mauvais instinct, il a fallu, non seulement le génie de Victor Hugo et les acclamations du monde entier, mais encore l’action du temps et la longueur d’une existence bien remplie. On dit en Italie : « Chi dura vince. » Victor Hugo a vaincu parce qu’il a duré. C’est depuis quelques années seulement que ses