Page:Hugo - Actes et paroles - volume 8.djvu/143

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
133
NOTES.
DISCOURS DE M. TULLO MASSARONI
sénateur du royaume d’italie
Messieurs,

Après les voix si éloquentes que vous venez d’entendre, c’est à peine si j’ose, moi étranger, parler près de cette tombe. Si je l’ose, c’est que ma voix, quelque faible qu’elle soit, est l’écho de l’âme de tout un peuple s’associant à votre douleur.

Là où est le deuil de la France, la pensée humaine est en deuil. Et ce deuil de la pensée, ces angoisses de l’esprit assoiffé de vérité, de poésie et d’amour, et sevré tout à coup de la coupe d’or où il puisait à grands traits sa triple vie, quel peuple les ressentirait jusqu’au fond de l’âme si ce n’est le peuple italien, qui, pendant des siècles de souffrance et de lutte, n’a résisté que par l’esprit, ne s’est senti vivre que par la pensée ?

Aussi, messieurs, ayant l’honneur de porter ici la parole au nom des écrivains, des artistes et des amis de l’enseignement populaire dans mon pays, puis-je sans hésitation vous affirmer que je parle au nom de mon pays même.

Victor Hugo a été de ceux auxquels les siècles parlent, et qui écoutent le lendemain germer et croître sous terre ; il s’est pris corps à corps avec les iniquités et les haines du passé, et il les a terrassées ; il a deviné, au milieu du bruissement des foules, les vérités de l’avenir, et, de ses bras d’athlète, il les a élevées sur le pavois.

Il avait avec cela toutes les charités et toutes les tendresses ; et les petits enfants et les misérables ont pu venir à lui avant les puissants et les heureux. Jusque sur les degrés de ce temple magnifique, où la France l’associe à toutes ses gloires, je ne saurais oublier qu’il a voulu venir à son dernier repos, porté par le corbillard des pauvres, afin que la poésie du cœur rayonnât encore une fois à travers les fentes de sa bière ; et je pense à Sophocle, dont le tombeau se passa de même, d’après le vœu du poète, de lauriers et de palmes, et ne connut que la rose et le lierre.

Aussi, Maître, ne t’ai-je offert qu’un rameau de lierre et deux roses ; mais ces feuilles et ces fleurs ont poussé en terre de France, et, sur le seuil de l’immortalité qui s’ouvre pour toi, elles mettent les couleurs de l’Italie.

La main dans la main, tous les peuples qui se relèvent viennent s’incliner, Maître, devant ce tombeau.