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DEPUIS L’EXIL.

qu’il ne m’est pas permis de récuser. Nos amis de la France et de l’étranger, ceux qui dans nos courses à travers l’Europe, à chacun de nos congrès, à Londres, à Lisbonne, à Vienne, à Rome, à Amsterdam, à Bruxelles, acclamaient Victor Hugo avec tant de sympathie, en nous donnant tant d’orgueil, ont aujourd’hui l’orgueil de faire retentir leur sympathie dans notre profonde tristesse.

Nous sommes les soldats d’une idée que Victor Hugo nous a léguée, la défense de la propriété littéraire et de la propriété artistique. Partout où nous sommes allés livrer ce bon combat, son nom nous a ouvert l’hospitalité la plus cordiale, son génie nous a donné les armes les plus sûres et sa gloire a illuminé nos succès.

Je viens donc, au nom de ceux qu’il a inspirés, commandés, soutenus, l’acclamer à mon tour, quand je voudrais uniquement le pleurer.

Victor Hugo est l’écrivain français le plus admiré hors de France ; non pas parce que nous l’admirons, car les étrangers parfois nous reprochent de ne pas l’admirer assez, tant ils sont saisis par la forte expansion de son génie ! À peine a-t-on besoin de le traduire ! Le relief de sa pensée fait sa trouée dans la langue étrangère, et le geste de sa parole aide à le deviner, avant qu’on l’ait pénétré.

Sa gloire prodigieuse, messieurs, nous est donc doublement chère ! Elle rayonne sur nous, avec le souvenir de nos joies, de nos douleurs les plus intimes, de nos ambitions les plus vastes, et en même temps elle resplendit au dehors comme une irradiation de la France généreuse et fraternelle.

Le patriotisme de Victor Hugo, qui ne sacrifie rien des droits stricts de la patrie, s’augmente d’un sentiment de justice internationale, supérieur aux préjugés de la diplomatie, aux ignorances populaires. Il est un foyer hospitalier où toutes les patries s’échauffent pour aimer et servir davantage la paix, l’union, la liberté.

Soyons fiers, à travers notre douleur, de voir ce mort sublime se dégager de nos étreintes pour recevoir de toutes les nations tournées vers lui une immortalité qui s’ajoute à notre reconnaissance nationale.

On n’a trouvé dans Paris qu’une porte assez haute pour y faire passer son ombre : celle qu’il a mesurée lui-même à sa taille dans ses strophes de granit, celle où son doigt filial a inscrit le nom de son père absent, celle où son nom rayonnera désormais, sans avoir besoin d’y être inscrit. Mais ce qu’on ne trouvera pas, c’est un horizon qui borne sa renommée. Déjà, devant ces témoignages venus de tous les points du globe, il semble que ce poëte, évanoui dans l’infini, déborde l’Europe comme il a débordé la France et qu’à l’heure où nous rouvrons pour lui le Panthéon français le monde lui élève un Panthéon international.

Gardons nos larmes pour le recueillement de demain ; mais au-