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DEPUIS L’EXIL. — 1877.

Le dîner a commencé à neuf heures. La table, dressée en fer à cheval et adossée à la cheminée monumentale de la salle du Zodiaque, occupait tout l’espace de la vaste rotonde, splendidement illuminée. Un admirable massif de plantes exotiques se dressait dans l’espace réservé du fer à cheval.

Au dessert, Victor Hugo s’est levé ; un profond silence s’est aussitôt établi. D’une voix émue, et qui pourtant se faisait entendre jusqu’aux extrémités de la salle, Victor Hugo a dit :

Je demande à mes convives la permission de boire à leur santé.

Je suis ici le débiteur de tous, et je commence par un remerciement. Je remercie de leur présence, de leur concours, de leur sympathique adhésion, les grands talents, les nobles esprits, les généreux écrivains, les hautes renommées qui m’entourent. Je remercie, dans la personne de son honorable directeur, ce magnifique théâtre national auquel se rattache, par ses deux extrémités, un demi-siècle de ma vie. Je remercie mes chers et vaillants auxiliaires, ces excellents artistes que le public tous les soirs couvre de ses applaudissements. (Bravos.)

Je ne prononcerai aucun nom, car il faudrait les nommer tous. Pourtant (Victor Hugo se tourne vers Mlle Sarah Bernhardt), permettez-moi, madame, une exception que votre sexe autorise. Je dis plus, commande.

Vous venez de vous montrer non seulement la rivale, mais l’égale des trois grandes actrices, Mlle Mars, Mme Dorval, Mlle Favart, qui vous ont précédée dans ce rôle de doña Sol.

Je vais plus loin ; j’ai le droit de le dire, moi qui ai vu, hélas ! la représentation de 1830 (Rires d’approbation), vous avez dépassé et éclipsé Mlle Mars. Ceci est de la gloire ; vous vous êtes vous-même couronnée reine, reine deux fois, reine par la beauté, reine par le talent.

Victor Hugo se penche et baise la main de Mlle Sarah Bernhardt en disant :

Je vous remercie, madame ! (Vifs applaudissements.)