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DEPUIS L’EXIL. — 1877.

gauche.) Ce n’est pas ma faute si je me souviens. Je vois des ressemblances qui m’inquiètent, non pour moi qui n’ai rien à perdre dans la vie et qui ai tout à gagner dans la mort, mais pour mon pays. Messieurs, vous écouterez l’homme en cheveux blancs qui a vu ce que vous allez revoir peut-être, qui n’a plus d’autre intérêt sur la terre que le vôtre, qui vous conseille tous avec droiture, amis et ennemis, et qui ne peut ni haïr ni mentir, étant si près de la vérité éternelle. (Profonde sensation. Applaudissements prolongés.)

Vous allez entrer dans une aventure. Eh bien, écoutez celui qui en revient. (Mouvement.) Vous allez affronter l’inconnu, écoutez celui qui vous dit : l’inconnu, je le connais. Vous allez vous embarquer sur un navire dont la voile frissonne au vent, et qui va bientôt partir pour un grand voyage plein de promesses, écoutez celui qui vous dit : Arrêtez, j’ai fait ce naufrage-là. (Applaudissements.)

Je crois être dans le vrai. Puissé-je me tromper, et Dieu veuille qu’il n’y ait rien de cet affreux passé dans l’avenir !

Ces réserves faites, — et c’était mon devoir de les faire, — j’aborde le moment présent, tel qu’il apparaît et tel qu’il se montre, et je tâcherai de ne rien dire qui puisse être contesté.

Personne ne niera, je suppose, que l’acte du 16 mai ait été inattendu.

Cela a été quelque chose comme le commencement d’une préméditation qui se dévoile.

L’effet a été terrible.

Remontons à quelques semaines en arrière. La France était en plein travail, c’est-à-dire en pleine fête. Elle se préparait à l’Exposition universelle de 1878 avec la fierté joyeuse des grandes nations civilisatrices. Elle déclarait au monde l’hospitalité. Paris, convalescent, glorieux et superbe, élevait un palais à la fraternité des nations ; la France, en dépit des convulsions continentales, était confiante et tranquille, et sentait s’approcher l’heure du suprême