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DEPUIS L’EXIL. — BRUXELLES.

Est-ce bien le moment de s’entre-dévorer,
Et l’heure pour la lutte est-elle bien choisie ?
Ô fratricide ! Ici toute la frénésie
Des canons, des mortiers, des mitrailles ; et là
Le vandalisme ; ici Charybde, et là Scylla.
Peuple, ils sont deux. Broyant tes splendeurs étouffées,
Chacun ôte à ta gloire un de tes deux trophées ;
Nous vivons dans des temps sinistres et nouveaux,
Et de ces deux pouvoirs étrangement rivaux
Par qui le marteau frappe et l’obus tourbillonne,
L’un prend l’Arc de Triomphe et l’autre la Colonne !

*

Mais c’est la France ! — Quoi, français, nous renversons
Ce qui reste debout sur les noirs horizons !
La grande France est là ! Qu’importe Bonaparte !
Est-ce qu’on voit un roi quand on regarde Sparte ?
Ôtez Napoléon, le peuple reparaît.
Abattez l’arbre, mais respectez la forêt.
Tous ces grands combattants, tournant sur ces spirales,
Peuplant les champs, les tours, les barques amirales,
Franchissant murs et ponts, fossés, fleuves, marais,
C’est la France montant à l’assaut du progrès.
Justice ! ôtez de là César, mettez-y Rome !
Qu’on voie à cette cime un peuple et non un homme !
Condensez en statue au sommet du pilier
Cette foule en qui vit ce Paris chevalier,
Vengeur des droits, vainqueur du mensonge féroce !
Que le fourmillement aboutisse au colosse !
Faites cette statue en un si pur métal
Qu’on n’y sente plus rien d’obscur ni de fatal ;
Incarnez-y la foule, incarnez-y l’élite ;
Et que ce géant Peuple, et que ce grand stylite