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PENDANT L’EXIL. — 1867.

Il y a quatre siècles l’Europe était impuissante contre les barbares. Aujourd’hui, elle leur fait la loi.

Aussi n’y aura-t-il plus d’oppression dans l’humanité quand l’Europe le voudra.

Pourquoi donc, en vue des côtes italiennes, au centre de la Méditerranée, à trente heures de la France, laisse-t-elle subsister un pacha ? comme au temps où les turcs assiégeaient Otrante en Italie, Vienne en Allemagne !

L’esclavage de la race noire vient d’être aboli en Amérique. Mais le nôtre est bien plus odieux, bien plus insupportable que ne l’était celui des nègres. Malgré toutes les chartes, un turc est toujours un maître plus dur qu’un citoyen des États-Unis.

Si tu pouvais connaître l’histoire de chacune de nos familles, comme tu connais celle de notre malheureux pays, tu y verrais partout l’exil, la persécution, la mort, le père égorgé par le sabre de nos tyrans, la mère enlevée à ses petits enfants pour le plus avilissant des esclavages, les sœurs souillées, les frères blessés ou tués.

À ceux qui nous laissent tant souffrir et qui pourraient nous sauver, nous ne dirons que ceci : Vous ne savez donc pas la vérité ?

Quand deux vaisseaux, l’un anglais, l’autre russe, ont débarqué au Pirée quelques-unes de nos familles, il y avait là des étrangers. Ces étrangers ont vu que nous n’avions pas exagéré nos souffrances.

Poëte, tu es lumière. Nous t’en conjurons, éclaire ceux qui nous ignorent, ceux que des imposteurs ont prévenus contre notre sainte cause.

Poëte, notre belle langue le dit, tu es créateur, créateur des peuples, comme les chantres antiques.

Par tes chants splendides des Orientales, tu as déjà grandement travaillé à créer le peuple hellène moderne.

Achève ton œuvre.

Tu nous appelles vainqueurs. C’est par toi que nous vaincrons.

Au nom du peuple crétois, et par délégation des capitaines du pays, Le commandant des quatre départements de la Canée,

J. ZIMBRAKAKIS.

Hauteville-House, 17 février 1867.

En écrivant ces lignes, j’obéis à un ordre venu de haut ; à un ordre venu de l’agonie.

Il m’est fait de Grèce un deuxième appel.