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AFFAIRE DOISE.

Elle était innocente.

Voici un fragment d’un de ses interrogatoires après qu’elle fut reconnue innocente ; on lui parle encore comme à une coupable :

« D. Mais enfin, on ne voit pas quels sont les moyens de contrainte qui ont été exercés contre vous.

« R. On m’a dit : avouez, ou vous resterez dans le trou noir, où l’on m’avait mise, où je n’avais même pas d’air.

« D. C’est-à-dire qu’on vous a mise au secret, ce qui est le droit et le devoir du magistrat. Vous avez persisté pendant cinq semaines dans vos aveux, après votre sortie du secret.

« R. Avec vivacité. Eh sans doute, je ne voulais pas retourner au cachot !

« Le procureur général : Mais vous n’avez pas été mise au cachot ?

« R. Oh ! je ne sais pas ; ce que je sais, c’est qu’il y avait deux portes au trou et pas d’air.

« Le procureur général : Vous n’étiez séparée que par une porte de la salle commune des détenus.

« Le président : Sortiez-vous dans le jour ?

« R. Je ne suis sortie que deux fois pendant tout le temps.

« D. C’est que vous ne le demandiez pas.

« R. Pardon, je ne demandais que ça. On me disait : Dites la vérité et vous sortirez.

« D. Le procureur général : Pas de confusion, sortiez-vous deux fois par jour ?

« R. Je ne suis sortie que deux fois en six ou sept semaines.

« D. Le président : Mais demandiez-vous à sortir ?

« R. Je demandais tant de choses et on ne m’accordait rien. Le commis-greffier me disait toujours : Avouez et vous sortirez.

« D. Le médecin vous visitait ?

« R. Je ne l’ai vu que deux fois en deux mois. La première fois, il m’a saignée, la seconde, il a dit de me faire sortir.

« D. Combien de jours êtes-vous accouchée après votre sortie du secret ?

« R. Quatre semaines après.

« D. Vous avez perdu votre enfant ?

« R. Oui. (Elle pleure). Mon enfant a vécu vingt-quatre jours. Comment aurait-il vécu ?… je ne dormais jamais au cachot. (Elle pleure.)