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GENÈVE ET LA PEINE DE MORT

guillotine ? est-ce qu’on peut se l’imaginer bouclant les courroies de la bascule sur les jarrets d’un misérable ? est-ce qu’on peut se l’imaginer défaisant avec ses doigts de lumière la ficelle monstrueuse du couperet ? se l’imagine-t-on sacrant et dégradant à la fois ce valet terrible, l’exécuteur ? se l’imagine-t-on étalée, dépliée et collée par l’afficheur sur le poteau infâme du pilori ? se la représente-t-on enfermée et voyageant dans ce sac de nuit du bourreau Calcraft où est mêlée à des chaussettes et à des chemises la corde avec laquelle il a pendu hier et avec laquelle il pendra demain !

Tant que la peine de mort existera, on aura froid en entrant dans une cour d’assises, et il y fera nuit.

En janvier dernier, en Belgique, à l’époque des débats de Charleroi, — débats dans lesquels, par parenthèse, il sembla résulter des révélations d’un nommé Rabet que deux guillotinés des années précédentes, Goethals et Coecke, étaient peut-être innocents (quel peut-être !) — au milieu de ces débats, devant tant de crimes nés des brutalités de l’ignorance, un avocat crut devoir et pouvoir démontrer la nécessité de l’enseignement gratuit et obligatoire. Le procureur général l’interrompit et le railla : Avocat, dit-il, ce n’est point ici la chambre. Non, monsieur le procureur général, c’est ici la tombe.

La peine de mort a des partisans de deux sortes, ceux qui l’expliquent et ceux qui l’appliquent ; en d’autres termes, ceux qui se chargent de la théorie et ceux qui se chargent de la pratique. Or la pratique et la théorie ne sont pas d’accord ; elles se donnent étrangement la réplique. Pour démolir la peine de mort, vous n’avez qu’à ouvrir le débat entre la théorie et la pratique. Écoutez plutôt. Ceux qui veulent le supplice, pourquoi le veulent-ils ? Est-ce parce que le supplice est un exemple ? Oui, dit la théorie. Non, dit la pratique. Et elle cache l’échafaud le plus qu’elle peut, elle détruit Montfaucon, elle supprime le crieur public, elle évite les jours de marché, elle bâtit sa mécanique à minuit, elle fait son coup de grand matin ; dans de certains pays, en Amérique et en Prusse, on pend et on décapite à huis clos. Est-ce parce que la peine de mort est la justice ? Oui, dit la théorie ; l’homme était coupable, il est puni.