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PENDANT L’EXIL. — 1862.

ment en aide lors de mon intervention pour les condamnés de Charleroi, est parvenue à sauver sept têtes sur neuf.

Les écrivains du dix-huitième siècle ont détruit la torture ; les écrivains du dix-neuvième, je n’en doute pas, détruiront la peine de mort. Ils ont déjà fait supprimer en France le poing coupé et le fer rouge ; ils ont fait abroger la mort civile ; et ils ont suggéré l’admirable expédient provisoire des circonstances atténuantes. — « C’est à d’exécrables livres comme le Dernier jour d’un Condamné, disait le député Salverte, qu’on doit la détestable introduction des circonstances atténuantes. » Les circonstances atténuantes, en effet, c’est le commencement de l’abolition. Les circonstances atténuantes dans la loi, c’est le coin dans le chêne. Saisissons le marteau divin, frappons sur le coin sans relâche, frappons à grands coups de vérité, et nous ferons éclater le billot.

Lentement, j’en conviens. Il faudra du temps, certes. Pourtant ne nous décourageons pas. Nos efforts, même dans le détail, ne sont pas toujours inutiles. Je viens de vous rappeler le fait de Charleroi ; en voici un autre. Il y a huit ans, à Guernesey, en 1854, un homme, nommé Tapner, fut condamné au gibet ; j’intervins, un recours en grâce fut signé par six cents notables de l’île, l’homme fut pendu ; maintenant écoutez : quelques-uns des journaux d’Europe qui contenaient la lettre écrite par moi aux guernesiais pour empêcher le supplice arrivèrent en Amérique à temps pour que cette lettre pût être reproduite utilement par les journaux américains ; on allait pendre un homme à Québec, un nommé Julien ; le peuple du Canada considéra avec raison comme adressée à lui-même la lettre que j’avais écrite au peuple de Guernesey, et, par un contre-coup providentiel, cette lettre sauva, passez-moi l’expression, non Tapner qu’elle visait, mais Julien qu’elle ne visait pas. Je cite ces faits ; pourquoi ? parce qu’ils prouvent la nécessité de persister. Hélas ! le glaive persiste aussi.

Les statistiques de la guillotine et de la potence conservent leurs hideux niveaux ; le chiffre du meurtre légal ne s’est amoindri dans aucun pays. Depuis une dizaine d’années même, le sens moral ayant baissé, le supplice a repris faveur, et il y a recrudescence. Vous petit peuple,