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1869

On lit dans le Courrier de l’Europe :

Une lettre authentique[1] de Victor Hugo nous tombe sous les yeux ; elle est adressée à l’auteur du livre Marie Dorval, qui avait envoyé son volume à Victor Hugo :

« Entre votre lettre et ma réponse, monsieur, il y a le deuil, et vous avez compris mon silence. Je sors aujourd’hui de cette nuit profonde des premières angoisses, et je commence à revivre.

« J’ai lu votre livre excellent. Mme Dorval a été la plus grande actrice de ce temps ; Mlle Rachel seule l’a égalée, et l’eût dépassée peut-être, si, au lieu de la tragédie morte, elle eût interprété l’art vivant, le drame, qui est l’homme ; le drame, qui est la femme ; le drame, qui est le cœur. Vous avez dignement parlé de Mme Dorval, et c’est avec émotion que je vous en remercie. Mme Dorval fait partie de notre aurore. Elle y a rayonné comme une étoile de première grandeur.

« Vous étiez enfant quand j’étais jeune. Vous êtes homme aujourd’hui et je suis vieillard, mais nous avons des souvenirs communs. Votre jeunesse commençante confine à ma jeunesse finissante ; de là, pour moi, un charme profond dans votre bon et noble livre. L’esprit, le cœur, le style, tout y est, et ce grand et saint enthousiasme qui est la vertu du cerveau.

« Le romantisme (mot vide de sens imposé par nos ennemis et dédaigneusement accepté par nous) c’est la révolution française faite littérature. Vous le comprenez, je vous en félicite.

« Recevez mon cordial serrement de main.

« Victor Hugo. »
Hauteville-House, 15 janvier 1869.
  1. Ce mot est souligné dans le journal, à cause de la quantité de fausses lettres de Victor Hugo, mises en circulation par une certaine presse calomniatrice.