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PENDANT L’EXIL. — 1870

drait bien finir par celui-ci : Prescription. Ce n’est qu’une toute petite lettre à changer. Rien de plus difficile.

S’improviser César, transformer le serment en Rubicon et l’enjamber, faire tomber au piège en une nuit tout le progrès humain, empoigner brusquement le peuple sous sa grande forme république et le mettre à Mazas, prendre un lion dans une souricière, casser par guet-apens le mandat des représentants et l’épée des généraux, exiler la vérité, expulser l’honneur, écrouer la loi, décréter d’arrestation la révolution, bannir 89 et 92, chasser la France de France, sacrifier sept cent mille hommes pour démolir la bicoque de Sébastopol, s’associer à l’Angleterre pour donner à la Chine le spectacle de l’Europe vandale, stupéfier de notre barbarie les barbares, détruire le palais d’Été de compte à demi avec le fils de lord Elgin qui a mutilé le Parthénon, grandir l’Allemagne et diminuer la France par Sadowa, prendre et lâcher le Luxembourg, promettre Mexico à un archiduc et lui donner Queretaro, apporter à l’Italie une délivrance qui aboutit au concile, faire fusiller Garibaldi par des fusils italiens à Aspromonte et par des fusils français à Mentana, endetter le budget de huit milliards, tenir en échec l’Espagne républicaine, avoir une haute cour sourde aux coups de pistolet, tuer le respect des juges par le respect des princes, faire aller et venir les armées, écraser les démocraties, creuser des abîmes, remuer des montagnes, cela est aisé. Mais mettre un e à la place d’un o, c’est impossible.

Le droit peut-il être proscrit ? Oui. Il l’est. Prescrit ? Non.

Un succès comme le Deux-Décembre ressemble à un mort en ceci qu’il tombe tout de suite en pourriture et en diffère en cela qu’il ne tombe jamais en oubli. La revendication contre de tels actes est de droit éternel.

Ni limite légale, ni limite morale. Aucune déchéance ne peut être opposée à l’honneur, à la justice et à la vérité, le temps ne peut rien sur ces choses. Un malfaiteur qui dure ne fait qu’ajouter au crime de son origine le crime de sa durée.

Pour l’histoire, pas plus que pour la conscience humaine, Tibère ne passe jamais à l’état de « fait accompli ».