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PENDANT L’EXIL. — 1869.

Ajoutons que tu es suspect de ne point approuver le viol des lois à main armée, et que peut-être tu es capable d’exciter à la haine des arrestations nocturnes et au mépris du faux serment.

Tout est bien, je le répète.

J’ai été enfant de troupe. À ma naissance j’ai été inscrit par mon père sur les contrôles du Royal-Corse (oui, Corse. Ce n’est pas ma faute). C’est pourquoi, puisque j’entre dans la voie des aveux, je dois convenir que j’ai une vieille sympathie pour l’armée. J’ai écrit quelque part :

J’aime les gens d’épée en étant moi-même un.

À une condition pourtant. C’est que l’épée sera sans tache.

L’épée que j’aime, c’est l’épée de Washington, l’épée de John Brown, l’épée de Barbès.

Il faut bien dire une chose à l’armée d’aujourd’hui, c’est qu’elle se tromperait de croire qu’elle ressemble à l’armée d’autrefois. Je parle de cette grande armée d’il y a soixante ans, qui s’est d’abord appelée armée de la république, puis armée de l’empire, et qui était à proprement parler, à travers l’Europe, l’armée de la révolution. Je sais tout ce qu’on peut dire contre cette armée-là, mais elle avait son grand côté. Cette armée-là démolissait partout les préjugés et les bastilles. Elle avait dans son havre-sac l’Encyclopédie. Elle semait la philosophie avec le sans-gêne du corps de garde. Elle appelait le bourgeois pékin, mais elle appelait le prêtre calotin. Elle brutalisait volontiers les superstitions, et Championnet donnait une chiquenaude à saint Janvier.

Quand l’empire voulut s’établir, qui vota surtout contre lui ? l’armée. Cette armée avait eu dans ses rangs Oudet et les Philadelphes. Elle avait eu Mallet, et Guidal, et mon parrain, Victor de Lahorie, tous trois fusillés en plaine de Grenelle. Paul-Louis Courier était de cette armée. C’étaient les anciens compagnons de Hoche, de Marceau, de Kléber et de Desaix.

Cette armée-là, dans sa course à travers les capitales, vidait sur son passage toutes les geôles, encore pleines de victimes, en Allemagne les chambres de torture des Land-