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PENDANT L’EXIL. — 1869.

luttez ! Naviguez intrépidement vers votre pôle imperturbable, la liberté ; mais tournez les écueils. Il y en a. Désormais, j’aurai dans ma solitude, pour mettre de la lumière dans mes vieux songes, cette perspective, le rappel triomphant. Le rappel battu, cela peut se rêver aussi.

Je ne reprendrai plus la parole dans ce journal que j’aime, et, à partir de demain, je ne suis plus que votre lecteur. Lecteur mélancolique et attendri. Vous serez sur votre brèche, et moi sur la mienne. Du reste, je ne suis plus guère bon qu’à vivre tête à tête avec l’océan, vieux homme tranquille et inquiet, tranquille parce que je suis au fond du précipice, inquiet parce que mon pays peut y tomber. J’ai pour spectacle ce drame, l’écume insultant le rocher. Je me laisse distraire des grandeurs impériales et royales par la grandeur de la nature. Qu’importe un solitaire de plus ou de moins ! les peuples vont à leurs destinées. Pas de dénoûment qui ne soit précédé d’une gestation. Les années font leur lent travail de maturation, et tout est prêt. Quant à moi, pendant qu’à l’occasion de sa noce d’or l’église couronne le pape, j’émiette sur mon toit du pain aux petits oiseaux, ne me souciant d’aucun couronnement, pas même d’un couronnement d’édifice.

Victor Hugo.
Hauteville-House, 25 avril 1869.