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PENDANT L’EXIL. — 1869.

la force du rire. Tourner une hydre en ridicule, cela semble étrange. Eh bien, c’est excellent. D’abord beaucoup d’hydres sont en baudruche. Sur celles-là, l’épingle est plus efficace que la massue. Quant aux hydres pour de bon, le césarisme en est une, l’ironie les consterne. Surtout quand l’ironie est un appel à la lumière. Souvenez-vous du coq chantant sur le dos du tigre. Le coq, c’est l’ironie. C’est aussi la France.

Le dix-huitième siècle a mis en évidence la souveraineté de l’ironie. Confrontez la vigueur matérielle avec la vigueur spirituelle ; comptez les fléaux vaincus, les monstres terrassés et les victimes protégées ; mettez d’un côté Lerne, Némée, Erymanthe, le taureau de Crète, le dragon des Hespérides, Antée étouffé, Cerbère enchaîné, Augias nettoyé, Atlas soulagé, Hésione sauvée, Alceste délivrée, Prométhée secouru ; et, de l’autre, la superstition dénoncée, l’hypocrisie démasquée, l’inquisition tuée, la magistrature muselée, la torture déshonorée, Calas réhabilité, Labarre vengé, Sirven défendu, les mœurs adoucies, les lois assainies, la raison mise en liberté, la conscience humaine délivrée, elle aussi, du vautour, qui est le fanatisme ; faites cette évocation sacrée des grandes victoires humaines, et comparez aux douze travaux d’Hercule les douze travaux de Voltaire. Ici le géant de force, là le géant d’esprit. Qui l’emporte ? Les serpents du berceau, ce sont les préjugés. Arouet a aussi bien étouffé ceux-ci qu’Alcide ceux-là.

Vous aurez de vives polémiques. Il y a un droit qui est tranquille avec vous, et qui est sûr d’être respecté, c’est le droit de réplique. Moi qui parle, j’en ai usé, à mes risques et périls, et même abusé. Jugez-en. Un jour, — vous devez d’ailleurs vous en souvenir, — en 1851, du temps de la république, j’étais à la tribune de l’Assemblée, je parlais, je venais de dire : Le président Louis Bonaparte conspire. Un honorable républicain d’autrefois, mort sénateur, M. Vieillard, me cria, justement indigné : Vous êtes un infâme calomniateur. À quoi je répondis par ces paroles insensées : Je dénonce un complot qui a pour but le rétablissement de l’empire. Sur ce, M. Dupin me menaça d’un rappel à l’ordre, peine terrible et méritée. Je trem-