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ARMAND BARBÈS

à armand barbès
Hauteville-House, 15 juillet 1862.
Mon frère d’exil,

Quand un homme a, comme vous, été le combattant et le martyr du progrès ; quand il a, pour la sainte cause démocratique et humaine, sacrifié sa fortune, sa jeunesse, son droit au bonheur, sa liberté ; quand il a, pour servir l’idéal, accepté toutes les formes de la lutte et toutes les formes de l’épreuve, la calomnie, la persécution, la défection, les longues années de la prison, les longues années de l’exil ; quand il s’est laissé conduire par son dévouement jusque sous le couperet de l’échafaud, quand un homme a fait cela, tous lui doivent, et lui ne doit rien à qui que ce soit. Qui a tout donné au genre humain est quitte envers l’individu.

Il ne vous est possible d’être ingrat envers personne. Si je n’avais pas fait, il y a vingt-trois ans, ce dont vous voulez bien me remercier, c’est moi, je le vois distinctement aujourd’hui, qui aurais été ingrat envers vous.

Tout ce que vous avez fait pour le peuple, je le ressens comme un service personnel.

J’ai, à l’époque que vous me rappelez, rempli un devoir, un devoir étroit. Si j’ai été alors assez heureux pour vous payer un peu de la dette universelle, cette minute n’est rien devant votre vie entière, et tous, nous n’en restons pas moins vos débiteurs.

Ma récompense, en admettant que je méritasse une récompense, a été l’action elle-même. J’accepte néanmoins avec attendrissement les nobles paroles que vous m’envoyez, et je suis profondément touché de votre reconnaissance magnanime.