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PENDANT L’EXIL. — 1868.

teur ? c’est le sceptre du roi, naïf et dédoré. L’un brisé, l’autre tombe.

Une monarchie à esclaves est logique. Une république à esclaves est cynique. Ce qui rehausse la monarchie déshonore la république. La république est une virginité.

Or, dès à présent, et sans attendre aucun vote, vous êtes république. Pourquoi ? parce que vous êtes la grande Espagne. Vous êtes république ; l’Europe démocratique en a pris acte. Ô espagnols ! vous ne pouvez rester fiers qu’à la condition de rester libres. Déchoir vous est impossible. Croître est dans la nature ; se rapetisser, non.

Vous resterez libres. Or la liberté est entière. Elle a la sombre jalousie de sa grandeur et de sa pureté. Aucun compromis. Aucune concession. Aucune diminution. Elle exclut en haut la royauté et en bas l’esclavage.

Avoir des esclaves, c’est mériter d’être esclave. L’esclave au-dessous de vous justifie le tyran au-dessus de vous.

Il y a dans l’histoire de la traite une année hideuse, 1768. Cette année-là le maximum du crime fut atteint ; l’Europe vola à l’Afrique cent quatre mille noirs, qu’elle vendit à l’Amérique. Cent quatre mille ! jamais si effroyable chiffre de vente de chair humaine ne s’était vu. Il y a de cela juste cent ans. Eh bien ! célébrez ce centenaire par l’abolition de l’esclavage ; qu’à une année infâme une année auguste réponde ; et montrez qu’entre l’Espagne de 1768 et l’Espagne de 1868 il y a plus qu’un siècle, il y a un abîme, il y a l’infranchissable profondeur qui sépare le faux du vrai, le mal du bien, l’injuste du juste, l’abjection de la gloire, la monarchie de la république, la servitude de la liberté. Précipice toujours ouvert derrière le progrès ; qui recule y tombe.

Un peuple s’augmente de tous les hommes qu’il affranchit. Soyez la grande Espagne complète. Ce qu’il vous faut, c’est Gibraltar de plus et Cuba de moins.

Un dernier mot. Dans la profondeur du mal, despotisme et esclavage se rencontrent et produisent le même effet. Pas d’identité plus saisissante. Le joug de l’esclavage est plus encore peut-être sur le maître que sur l’esclave. Lequel des deux possède l’autre ? question. C’est une erreur