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MENTANA.

Il est parmi vous, rois, ô groupe à peine humain,
Un homme que l’éclair de temps en temps regarde.
Ce condamné, qui triple autour de lui sa garde,
Perd sa peine. Son tour approche. Quand ? bientôt.
C’est pourquoi l’on entend un grondement là haut.
L’ombre est sur vos palais, ô rois. La nuit l’apporte.
Tel que l’exécuteur frappant à votre porte,
Le tonnerre demande à parler à quelqu’un.

Et cependant l’odeur des morts, affreux parfum
Qui se mêle à l’encens, des Tedeums superbes,
Monte du fond des bois, du fond des prés pleins d’herbes,
Des steppes, des marais, des vallons, en tous lieux !
Au fatal boulevard de Paris oublieux,
Au Mexique, en Pologne, en Crète où la nuit tombe,
En Italie, on sent un miasme de tombe,
Comme si, sur ce globe et sous le firmament,
Étant dans sa saison d’épanouissement,
Vaste mancenillier de la terre en démence,
Le carnage vermeil ouvrait sa fleur immense.
Partout des égorgés ! des massacrés partout !
Le cadavre est à terre et l’idée est debout.
Ils gisent étendus dans les plaines farouches.
L’appel aux armes flotte au dessus de leurs bouches.
On les dirait semés. Ils le sont. Le sillon
Se nomme liberté. La mort est l’aquilon,
Et les morts glorieux sont la graine sublime
Qu’elle disperse au loin sur l’avenir, abîme.
Germez, héros ! et vous, cadavres, pourrissez.
Fais ton œuvre, ô mystère ! épars, nus, hérissés,
Béants, montrant au ciel leurs bras coupés qui pendent,
Tous ces exterminés, immobiles attendent.

Et tandis que les rois, joyeux et désastreux,
Font une fête auguste et triomphale entre eux,
Tandis que leur olympe abonde, au fond des nues,
En fanfare, en festins, en joie, en gorges nues,
Rit, chante, et, sur nos fronts, montre aux hommes contents
Une fraternité de czars et de sultans,