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frère enseveli et nous lui disons : ― Ami ! nous te félicitons d’avoir été vaillant, nous te félicitons d’avoir été généreux et intrépide, nous te félicitons d’avoir été fidèle, nous te félicitons d’avoir donné à ta foi jusqu’au dernier souffle de ta bouche, jusqu’au dernier battement de ton cœur, nous te félicitons d’avoir souffert, nous te félicitons d’être mort ! ― Puis nous relevons la tête, et nous nous en allons le cœur plein d’une sombre joie. Ce sont là les fêtes de l’exil.

Telle est la pensée austère et sereine qui est au fond de toutes nos âmes ; et devant ce sépulcre, devant ce gouffre où il semble que l’homme s’engloutit, devant cette sinistre apparence du néant, nous nous sentons consolidés dans nos principes et dans nos certitudes ; l’homme convaincu n’a jamais le pied plus ferme que sur la terre, mouvante du tombeau ; et, l’œil fixé sur ce mort, sur cet être évanoui, sur cette ombre qui a passé, croyants inébranlables, nous glorifions celle qui est immortelle et celui qui est éternel, la liberté et Dieu !

Oui, Dieu ! Jamais une tombe ne doit se fermer sans que ce grand mot, sans que ce mot vivant y soit tombé. Les morts le réclament, et ce n’est pas nous qui le leur refuserons. Que le peuple religieux et libre au milieu duquel nous vivons le comprenne bien, les hommes du progrès, les hommes de la démocratie, les hommes de la révolution savent que la destinée de l’âme est double, et l’abnégation qu’ils montrent dans cette vie prouve combien ils comptent profondément sur l’autre. Leur foi dans ce grand et mystérieux avenir résiste même au spectacle repoussant que nous donne depuis le 2 décembre le clergé catholique asservi. Le papisme romain en ce moment épouvante la conscience humaine. Ah ! je le dis, et j’ai le cœur plein d’amertume, en songeant à tant d’abjection et de honte, ces prêtres, qui, pour de l’argent, pour des palais, des mitres et des crosses, pour l’amour des biens temporels, bénissent et glorifient le parjure, le meurtre et la trahison, ces églises où l’on chante Te Deum au crime couronné, oui, ces églises, oui, ces prêtres suffiraient pour ébranler les plus fermes convictions dans les âmes les plus profondes, si l’on n’apercevait, au-dessus de l’église, le ciel, et, au-dessus du prêtre, Dieu !