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droit, votre patrie viennent d’être victimes. En faisant cela, monsieur le connétable, n’usez-vous pas de votre droit ? je vais plus loin, ne remplissez-vous pas votre devoir ? »

Le connétable essaya d’éviter de répondre à cette nouvelle question en murmurant qu’il n’était pas venu pour discuter la décision de l’autorité supérieure, mais seulement pour la signifier.

Victor Hugo insista :

« Nous faisons en ce moment une page d’histoire, monsieur. Nous sommes ici trois historiens, mes deux fils et moi, et un jour, cette conversation sera racontée. Répondez donc ; en protestant contre le crime, n’useriez-vous pas de votre droit, n’accompliriez-vous pas votre devoir ?

— Oui, monsieur.

— Et que penseriez-vous alors du gouvernement qui, pour avoir accompli ce devoir sacré, vous enverrait l’ordre de quitter le pays par un magistrat qui ferait vis-à-vis de vous ce que vous faites aujourd’hui vis-à-vis de moi ? Que penseriez-vous du gouvernement qui vous chasserait, vous proscrit, qui vous expulserait, vous représentant du peuple, dans l’exercice même de votre devoir ? Ne penseriez-vous pas que ce gouvernement est tombé au dernier degré de la honte ? Mais sur ce point, monsieur, je me contente de votre silence. Vous êtes ici trois honnêtes gens et je sais, sans que vous me le disiez, ce que me répond maintenant votre conscience. »

Un des officiers du connétable hasarda une observation timide :

« Monsieur Victor Hugo, il y a autre chose dans votre Déclaration que les crimes de l’empereur.

— Vous vous trompez, monsieur, et, pour mieux vous convaincre, je vais vous la lire. »

Victor Hugo lut la déclaration, et à chaque paragraphe il s’arrêta, demandant aux magistrats qui l’écoutaient : « Avions-nous le droit de dire cela ?

— Mais vous désapprouvez l’expulsion de vos amis, dit le connétable.

— Je la désapprouve hautement, reprit Victor Hugo. Mais n’avais-je pas le droit de le dire ? Votre liberté de la presse ne s’étendait-elle pas à permettre la critique d’une mesure arbitraire de l’autorité ?

— Certainement, certainement, dit le connétable.

— Et c’est pour cette Déclaration que vous venez me signifier l’ordre de mon expulsion ? pour cette Déclaration, que vous reconnaissez qu’il était de mon devoir de faire, dont vous avouez qu’aucun des termes ne dépasse les limites de votre liberté locale, et que vous eussiez faite à ma place ?

— C’est à cause de la lettre de Félix Pyat, dit un des officiers.

— Pardon, reprit Victor Hugo en s’adressant au connétable, ne