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Ce qui suit est extrait du livre les Hommes de l’exil, par Charles Hugo :

Le samedi 27 octobre 1855, à dix heures du matin, trois personnes se présentèrent à Marine Terrace et demandèrent à parler à M. Victor Hugo et à ses deux fils.

« À qui ai-je l’honneur de parler ? demanda M. Victor Hugo au premier des trois.

— Je suis le connétable de Saint-Clément, monsieur Victor Hugo. Je suis chargé par son excellence le gouverneur de Jersey de vous dire qu’en vertu d’une décision de la couronne, vous ne pouvez plus séjourner dans cette île, et que vous aurez à la quitter d’ici au 2 novembre prochain. Le motif de cette mesure prise à votre égard est votre signature au bas de la « Déclaration » affichée dans les rues de Saint-Hélier, et publiée dans le journal l’Homme.

— C’est bien, monsieur. »

Le connétable de Saint-Clément fit ensuite la même communication dans les mêmes termes à MM. Charles Hugo et François-Victor Hugo, qui lui firent la même réponse.

M. Victor Hugo demanda au connétable s’il pouvait lui laisser copie de l’ordre du gouvernement anglais. Sur la réponse négative de M. Lenepveu qui déclara que ce n’était pas l’usage, Victor Hugo lui dit :

« Je constate que, nous autres proscrits, nous signons et publions ce que nous écrivons et que le gouvernement anglais cache ce qu’il écrit. »

Après avoir rempli leur mandat, le connétable et ses deux officiers s’étaient assis.

« Il est nécessaire, reprit alors Victor Hugo, que vous sachiez, messieurs, toute la portée de l’acte que vous venez d’accomplir, avec beaucoup de convenance d’ailleurs et dans des formes dont je me plais à reconnaître la parfaite mesure. Ce n’est pas vous que je fais responsables de cet acte ; je ne veux pas vous demander votre avis ; je suis sûr que dans votre conscience vous êtes indignés et navrés de ce que l’autorité militaire vous fait faire aujourd’hui. »

Les trois magistrats gardèrent le silence et baissèrent la tête.

Victor Hugo continua.

« Je ne veux pas savoir votre sentiment. Votre silence m’en dit assez. Il y a entre les consciences des honnêtes gens un pont par lequel les pensées communiquent, sans avoir besoin de sortir de la bouche. Il est nécessaire néanmoins, je vous le répète, que vous vous rendiez bien compte de l’acte auquel vous vous croyez forcés de prêter votre assistance. Monsieur le connétable de Saint-Clément, vous êtes membre des états de cette île. Vous avez été élu par le libre suffrage de vos concitoyens. Vous êtes représen-