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mure M. Sibour. Vous êtes tranquille. Vous dites : ― Bah ! ces démagogues rêvent. Ils voudraient me faire peur avec des croquemitaines. Il n’y a plus de révolution ; Veuillot l’a broutée. Le coup d’état peut dormir sur les deux oreilles de Baroche. Paris, la populace, les faubourgs, tout cela est sous mes talons. Qu’importe tout cela ?

Au fait, c’est juste. Et qu’importe l’histoire ? qu’importe la postérité ? Qu’il y ait aujourd’hui un deux-décembre faisant pendant à Austerlitz, un Sébastopol faisant équilibre à Marengo, qu’il y ait un Napoléon le grand et un autre Napoléon s’agitant sous le microscope, que notre oncle soit notre oncle ou ne le soit pas, qu’il ait vécu ou soit mort, que l’Angleterre lui ait mis Wellington sur la tête et Hudson-Lowe sur la poitrine, qu’est-ce que cela fait ? Nous n’en sommes plus là. C’est du passé ou du libelle. Si nous sommes petit, cela ne regarde personne. On nous admire. N’est-ce pas, Troplong ? Oui, sire. Il n’y a plus qu’une question aujourd’hui, notre empire. Une seule chose importe, prouver que nous sommes reçu ; imposer « le parvenu » à la vieille maison royale de Brunswick ; faire disparaître la catastrophe de Crimée sous des fêtes en Angleterre ; se réjouir dans ce crêpe ; couvrir ces mitrailles d’un feu d’artifice ; montrer notre habit de général là où l’on a vu notre bâton de policeman ; être joyeux ; danser un peu à Buckingham Palace. Cela fait, tout est fait.

Donc voyage à Londres. Préférable du reste au voyage en Crimée ; à Londres les salves tireront à poudre. Quinze jours de galas. Triomphe. Promenades dans les résidences royales ; à Carlton-House ; à Osborn, dans l’île de Wight ; à Windsor où vous trouverez le lit de Louis-Philippe à qui vous devez votre vie et sa bourse, et où la tour de Lancastre vous parlera de Henri l’imbécile, et où la tour d’York vous parlera de Richard l’assassin. Puis grands et petits levers, bals, bouquets, orchestres, Rule Britannia croisé de Partant pour la Syrie, lustres allumés, palais illuminés, harangues, hurrahs. Détails de vos grands cordons et de vos grâces dans les journaux. C’est bien. À ces détails trouvez bon que d’avance j’en mêle d’autres qui viennent d’un autre de vos lieux de triomphe, de Cayenne. Les déportés, ― ces hommes qui n’ont commis d’autre crime que