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après l’autre avant d’avoir revu la chère terre de la patrie ; asseyons-nous, côte à côte avec nos morts, à cette sainte cène de l’honneur, du dévouement et du sacrifice ; faisons la communion de la tombe.

Donc l’air de la proscription tue. On meurt ici, on meurt souvent, on meurt sans cesse. Le proscrit lutte, résiste, tient tête, s’assied au bord de la mer et regarde du côté de la France, et meurt. Les autres après lui continuent le combat ; seulement la brèche de l’exil commence à s’encombrer de cadavres.

Tout est bien. Et ceci (montrant la fosse) rachète cela (l’orateur étend le bras du côté de la France). Pendant que tant d’hommes qui auraient la force s’ils voulaient acceptent la servitude, et, le bât sur le cou, subissent le triomphe du guet-apens, lâche triomphe et lâche soumission, pendant que les foules s’en vont dans la honte, les proscrits s’en vont dans la tombe. ― Tout est bien.

Ô mes amis, quelle profonde douleur !

Ah ! que du moins, en attendant le jour où ils se lèveront, en attendant le jour où ils auront pudeur, en attendant le jour où ils auront horreur, les peuples maintenant à terre, les uns garrottés, les autres abrutis, ce qui est pire, les autres prosternés, ce qui est pire encore, regardent passer, le front haut dans les ténèbres, et s’enfoncer en silence dans le désert de l’exil cette fière colonne de proscrits qui marche vers l’avenir, ayant en tête des cercueils !

L’avenir. Ce mot m’est venu. Savez-vous pourquoi ? C’est qu’il sort naturellement de la pensée dans le lieu mystérieux où nous sommes ; c’est que c’est un bon endroit pour regarder l’avenir que le bord des fosses. De cette hauteur on voit loin dans la profondeur divine et loin dans l’horizon humain. Aujourd’hui que la Liberté, la Vérité et la Justice ont les mains liées derrière le dos et sont battues de verges et sont fouettées en place publique, la Liberté par les soldats, la Vérité par les prêtres, la Justice par les juges ; aujourd’hui que l’Idée venue de Dieu est suppliciée, Dieu est sur l’horizon humain, Dieu est sur la place publique où on le fouette, et l’on peut dire, oui, l’on peut dire qu’il souffre et qu’il saigne avec nous. On a