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bornes. On ne verrait qu’atrocités et guet-apens. Une répression est nécessaire. Enfin, c’est votre avis, monsieur, les Tapner doivent être pendus, à moins qu’ils ne soient empereurs.

Que la volonté des hommes d’état soit faite !

Les idéologues, les rêveurs, les étranges esprits chimériques qui ont la notion du bien et du mal, ne peuvent sonder sans trouble certains côtés du problème de la destinée.

Pourquoi Tapner, au lieu de tuer une femme, n’en a-t-il pas tué trois cents, en ajoutant au tas quelques centaines de vieillards et d’enfants ? pourquoi, au lieu de forcer une porte, n’a-t-il pas crocheté un serment ? pourquoi, au lieu de dérober quelques schellings, n’a-t-il pas volé vingt-cinq millions ? Pourquoi, au lieu de brûler la maison Saujon, n’a-t-il pas mitraillé Paris ? Il aurait un ambassadeur à Londres.

Il serait pourtant bon qu’on en vînt à préciser un peu le point où Tapner cesse d’être un brigand et où Schinderhannes commence à devenir de la politique.

Tenez, monsieur, c’est horrible. Nous habitons, vous et moi, l’infiniment petit. Je ne suis qu’un proscrit et vous n’êtes qu’un ministre. Je suis de la cendre, vous êtes de la poussière. D’atome à atome on peut se parler. On peut d’un néant à l’autre se dire ses vérités. Eh bien, sachez-le, quelles que soient les splendeurs actuelles de votre politique, quelle que soit la gloire de l’alliance de M. Bonaparte, quelque honneur qu’il y ait pour vous à mettre votre tête à côté de la sienne dans le bonnet qu’il porte, si retentissants et si magnifiques que soient vos triomphes en commun dans l’affaire turque, monsieur, cette corde qu’on noue au cou d’un homme, cette trappe qu’on ouvre sous ses pieds, cet espoir qu’il se cassera la colonne vertébrale en tombant, cette face qui devient bleue sous le voile lugubre du gibet, ces yeux sanglants qui sortent brusquement de leur orbite, cette langue qui jaillit du gosier, ce rugissement d’angoisse que le nœud étouffe, cette âme éperdue qui se cogne au crâne sans pouvoir s’en aller, ces genoux convulsifs qui cherchent un point d’appui, ces mains liées et muettes qui se joignent et qui crient au secours, et cet