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On aurait tort de dire qu’aucune précaution n’avait été prise pour Tapner. Le jeudi 9, quelques zélés de la peine capitale avaient visité la potence déjà toute prête dans le jardin. S’y connaissant, ils avaient remarqué que « la corde était grosse comme le pouce et le nœud coulant gros comme le poing ». Avis avait été donné au procureur royal, lequel avait fait remplacer la grosse corde par une corde fine. De quoi donc se plaindrait-on ?

Tapner est resté une heure au gibet. L’heure écoulée, on l’a détaché ; et le soir, à huit heures, on l’a enterré dans le cimetière dit des étrangers, à côté du supplicié de 1830, Béasse.

Il y a encore un autre être condamné. C’est la femme de Tapner. Elle s’est évanouie, deux fois en lui disant adieu ; le second évanouissement a duré une demi-heure ; on l’a crue morte.

Voilà, monsieur, j’y insiste, de quelle façon est mort Tapner.

Un fait que je ne puis vous taire, c’est l’unanimité de la presse locale sur ce point : — Il n’y aura plus d’exécution à mort dans ce pays, l’échafaud n’y sera plus toléré.

La Chronique de Jersey du 11 février ajoute : « Le supplice a été plus atroce que le crime. »

J’ai peur que, sans le vouloir, vous n’ayez aboli la peine de mort à Guernesey.

Je livre en outre à vos réflexions ce passage d’une lettre que m’écrit un des principaux habitants de l’île : « L’indignation était au comble, et si tous avaient pu voir ce qui se passait sous le gibet, quelque chose de sérieux serait arrivé, on aurait tâché de sauver celui qu’on torturait. »

Je vous confie ces criailleries.

Mais revenons à Tapner.

La théorie de l’exemple est satisfaite. Le philosophe seul est triste, et se demande si c’est là ce qu’on appelle la justice « qui suit son cours ».

Il faut croire que le philosophe a tort. Le supplice a été effroyable, mais le crime était hideux. Il faut bien que la société se défende, n’est-ce pas ? où en serions-nous si, etc., etc., etc. ? L’audace des malfaiteurs n’aurait plus de