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la chute. Dans ces convulsions, la corde s’est mise à osciller, les coudes du misérable ont heurté le bord de la trappe, les mains s’y sont cramponnées, le genou droit s’y est appuyé, le corps s’est soulevé, et le pendu s’est penché sur la foule. Il est retombé, puis a recommencé. Deux fois, dit le témoin. La seconde fois il s’est dressé à un pied de hauteur ; la corde a été un moment lâche. Puis il a relevé son bonnet et la foule a vu ce visage. Cela durait trop, à ce qu’il paraît. Il a fallu finir. Le bourreau qui était descendu, est remonté, et a fait, je cite toujours le témoin oculaire, « lâcher prise au patient ». La corde avait dévié ; elle était sous le menton ; le bourreau l’a remise sous l’oreille ; après quoi il a pressé sur les deux épaules[1]. Le bourreau et le spectre ont lutté un moment. Le bourreau a vaincu. Puis cet infortuné, condamné lui-même, s’est précipité dans le trou où pendait Tapner, lui a étreint les deux genoux et s’est suspendu à ses pieds. La corde s’est balancée un moment, portant le patient et le bourreau, le crime et la loi. Enfin, le bourreau a lui-même « lâché prise ». C’était fait. L’homme était mort.

Vous le voyez, monsieur, les choses se sont bien passées. Cela a été complet. Si c’est un cri d’horreur qu’on a voulu, on l’a.

La ville étant bâtie en amphithéâtre, on voyait cela de toutes les fenêtres. Les regards plongeaient dans le jardin.

La foule criait : shame ! shame ! Des femmes sont tombées évanouies.

Pendant ce temps-là, Fouquet, le gracié de 1851, se repent. Le bourreau a fait de Tapner un cadavre ; la clémence a refait de Fouquet un homme.

Dernier détail.

Entre le moment où Tapner est tombé dans le trou de la trappe et l’instant où le bourreau, ne sentant plus de frémissement, lui a lâché les pieds, il s’est écoulé douze minutes. Douze minutes ! Qu’on calcule combien cela fait de temps, si quelqu’un sait à quelle horloge se comptent les minutes de l’agonie !

  1. Gazette de Guernesey, 11 février.