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AVANT L’EXIL. — ASSEMBLÉE LÉGISLATIVE

pas. De la loi sur le colportage, dûment interprétée, on faisait une muraille entre le journal et le public. Imprimez votre journal, soit ; on ne le distribuera pas. (Très bien !)

Entre ces deux murailles, double enceinte construite autour de la pensée, on disait à la presse : Tu es libre ! (On rit.) Ce qui ajoutait aux satisfactions de l’arbitraire les joies de l’ironie. (Nouveaux rires.)

Quelle admirable loi en particulier que cette loi des brevets d’imprimeur ! Les hommes opiniâtres qui veulent absolument que les constitutions aient un sens, qu’elles portent un fruit, et qu’elles contiennent une logique quelconque, ces hommes-là se figuraient que cette loi de 1814 était virtuellement abolie par l’article 8 de la constitution, qui proclame ou qui a l’air de proclamer la liberté de la presse. Ils se disaient, avec Benjamin Constant, avec M. Eusèbe Salverte, avec M. Firmin Didot, avec l’honorable M. de Tracy, que cette loi des brevets était désormais un non-sens ; que la liberté d’écrire, c’était la liberté d’imprimer ou ce n’était rien ; qu’en affranchissant la pensée, l’esprit de progrès avait nécessairement affranchi du même coup tous les procédés matériels dont elle se sert, l’encrier dans le cabinet de l’écrivain, la mécanique dans l’atelier de l’imprimeur ; que, sans cela, ce prétendu affranchissement de la pensée serait une dérision. Ils se disaient que toutes les manières de mettre l’encre en contact avec le papier appartiennent à la liberté ; que l’écritoire et la presse, c’est la même chose ; que la presse, après tout, n’est que l’écritoire élevée à sa plus haute puissance ; ils se disaient que la pensée a été créée par Dieu pour s’envoler en sortant du cerveau de l’homme, et que les presses ne font que lui donner ce million d’ailes dont parle l’Écriture. Dieu l’a faite aigle, et Gutenberg l’a faite légion. (Applaudissements.) Que si cela est un malheur, il faut s’y résigner ; car, au dix-neuvième siècle, il n’y a plus pour les sociétés humaines d’autre air respirable que la liberté. Ils se disaient enfin, ces hommes obstinés, que, dans un temps qui doit être une époque d’enseignement universel, que, pour le citoyen d’un pays vraiment libre, — à la seule condition de mettre à son œuvre la marque d’origine,