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LE SUFFRAGE UNIVERSEL.

France, et je vous dis : Voltaire tomberait sous votre loi, et vous auriez sur la liste des exclusions et des indignités le repris de justice Voltaire. (Long mouvement.)

À droite. — Et ce serait très bien ! (Inexprimable agitation sur tous les bancs.)

M. Victor Hugo reprend. — Ce serait très bien, n’est-ce pas ? Oui, vous auriez sur vos listes d’exclus et d’indignes le repris de justice Voltaire (nouveau mouvement), ce qui ferait grand plaisir à Loyola ! (Applaudissements à gauche et longs éclats de rire.)

Que vous dirai-je ? Cette loi construit, avec une adresse funeste, tout un système de formalités et de délais qui entraînent des déchéances. Elle est pleine de pièges et de trappes où se perdra le droit de trois millions d’hommes ! (Vive sensation.) Messieurs, cette loi viole, ceci résume tout, ce qui est antérieur et supérieur à la constitution, la souveraineté de la nation. (Oui ! oui !)

Contrairement au texte formel de l’article premier de cette constitution, elle attribue à une fraction du peuple l’exercice de la souveraineté qui n’appartient qu’à l’universalité des citoyens, et elle fait gouverner féodalement trois millions d’exclus par six millions de privilégiés. Elle institue des ilotes (mouvement), fait monstrueux ! Enfin, par une hypocrisie qui est en même temps une suprême ironie, et qui, du reste, complète admirablement l’ensemble des sincérités régnantes, lesquelles appellent les proscriptions romaines amnisties, et la servitude de l’enseignement liberté (Bravo !), cette loi continue de donner à ce suffrage restreint, à ce suffrage mutilé, à ce suffrage privilégié, à ce suffrage des domiciliés, le nom de suffrage universel ! Ainsi, ce que nous discutons en ce moment, ce que je discute, moi, à cette tribune, c’est la loi du suffrage universel ! Messieurs, cette loi, je ne dirai pas, à Dieu ne plaise ! que c’est Tartuffe qui l’a faite, mais j’affirme que c’est Escobar qui l’a baptisée. (Vifs applaudissements et hilarité sur tous les bancs.)

Eh bien ! j’y insiste, avec toute cette complication de finesses, avec tout cet enchevêtrement de pièges, avec tout cet entassement de ruses, avec tout cet échafaudage de combinaisons et d’expédients, savez-vous si, par impossible,