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AVANT L’EXIL. — COUR D’ASSISES.

On accuse le rédacteur de l’Événement d’avoir manqué de respect aux lois ! d’avoir manqué de respect à la peine de mort ! Messieurs, élevons-nous un peu plus haut qu’un texte controversable, élevons-nous jusqu’à ce qui fait le fond même de toute législation, jusqu’au for intérieur de l’homme. Quand Servan, qui était avocat général cependant, — quand Servan imprimait aux lois criminelles de son temps cette flétrissure mémorable : « Nos lois pénales ouvrent toutes les issues à l’accusation, et les ferment presque toutes à l’accusé » ; quand Voltaire qualifiait ainsi les juges de Calas : Ah ! ne me parlez pas de ces juges, moitié singes et moitié tigres ! (on rit) ; quand Chateaubriand, dans le Conservateur, appelait la loi du double vote loi sotte et coupable ; quand Royer-Collard, en pleine chambre des députés, à propos de je ne sais plus quelle loi de censure, jetait ce cri célèbre : Si vous faites cette loi, je jure de lui désobéir ; quand ces législateurs, quand ces magistrats, quand ces philosophes, quand ces grands esprits, quand ces hommes, les uns illustres, les autres vénérables, parlaient ainsi, que faisaient-ils ? Manquaient-ils de respect à la loi, à la loi locale et momentanée ? c’est possible, M. l’avocat général le dit, je l’ignore ; mais ce que je sais, c’est qu’ils étaient les religieux échos de la loi des lois, de la conscience universelle ! Offensaient-ils la justice, la justice de leur temps, la justice transitoire et faillible ? je n’en sais rien ; mais ce que je sais, c’est qu’ils proclamaient la justice éternelle. (Mouvement général d’adhésion.)

Il est vrai qu’aujourd’hui, on nous a fait la grâce de nous le dire au sein même de l’assemblée nationale, on traduirait en justice l’athée Voltaire, l’immoral Molière, l’obscène La Fontaine, le démagogue Jean-Jacques Rousseau ! (On rit.) Voilà ce qu’on pense, voilà ce qu’on avoue, voilà où on est ! Vous apprécierez, messieurs les jurés !

Messieurs les jurés, ce droit de critiquer la loi, de la critiquer sévèrement, et en particulier et surtout la loi pénale, qui peut si facilement empreindre les mœurs de barbarie, ce droit de critiquer, qui est placé à côté du devoir d’améliorer, comme le flambeau à côté de l’ouvrage à faire, ce droit de l’écrivain, non moins sacré que le