Page:Hugo - Actes et paroles - volume 2.djvu/154

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
146
AVANT L’EXIL. — ASSEMBLÉE LÉGISLATIVE.

les mendiants jusqu’aux prétendants. (Explosion d’applaudissements. — Cris et murmures à droite.)

M. le président. — Laissez donc finir, pour l’amour de Dieu ! (On rit.)

M. Belin. — Pour l’amour du dîner.

M. le président. — Allons ! de grâce ! de grâce !

M. Victor Hugo. — Messieurs, il y a deux sortes de questions, les questions fausses et les questions vraies.

L’assistance, le salaire, le crédit, l’impôt, le sort des classes laborieuses… — eh ! mon Dieu ! ce sont là des questions toujours négligées, toujours ajournées ! Souffrez qu’on vous en parle de temps en temps ! Il s’agit du peuple, messieurs ! Je continue. — Les souffrances des faibles, du pauvre, de la femme, de l’enfant, l’éducation, la pénalité, la production, la consommation, la circulation, le travail, qui contient le pain de tous, le suffrage universel, qui contient le droit de tous, la solidarité entre hommes et entre peuples, l’aide aux nationalités opprimées, la fraternité française produisant par son rayonnement la fraternité européenne, — voilà les questions vraies.

La légitimité, l’empire, la fusion, l’excellence de la monarchie sur la république, les thèses philosophiques qui sont grosses de barricades, le choix entre les prétendants, — voilà les fausses questions.

Eh bien ! il faut bien vous le dire, vous quittez les questions vraies pour les fausses questions ; vous quittez les questions vivantes pour les questions mortes. Quoi ! c’est là votre intelligence politique ! Quoi ! c’est là le spectacle que vous nous donnez ! Le législatif et l’exécutif se querellent, les pouvoirs se prennent au collet ; rien ne se fait, rien ne va ; de vaines et pitoyables disputes ; les partis tiraillent la constitution dans l’espoir de déchirer la république ; les hommes se démentent, l’un oublie ce qu’il a juré, les autres oublient ce qu’ils ont crié ; et pendant ces agitations misérables, le temps, c’est-à-dire la vie, se perd !

Quoi ! c’est là la situation que vous nous faites ! la neutralisation de toute autorité par la lutte, l’abaissement, et, par conséquent, l’effacement du pouvoir, la stagnation, la torpeur, quelque chose de pareil à la mort ! Nulle gran-