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RÉPONSE À M. SAINTE-BEUVE.

hauteur de son esprit, il était, dès sa jeunesse même, au niveau des plus illustres amitiés. Deux hommes éminents, vous l’avez dit, monsieur, le recherchèrent et eurent la joie, qui est aujourd’hui une gloire, de l’aider et de le servir, M. Français de Nantes sous l’empire, M. Pasquier sous la restauration. Il put ainsi se livrer paisiblement à ses travaux, sans inquiétude, sans trop de souci de la vie matérielle, heureux, admiré, entouré de l’affection publique, et, en particulier, de l’affection populaire. Un jour arriva cependant où une injuste et impolitique défaveur vint frapper ce poëte dont le nom européen faisait tant d’honneur à la France ; il fut alors noblement recueilli et soutenu par le prince dont Napoléon a dit : Le duc d’Orléans est toujours resté national ; grand et juste esprit qui comprenait dès lors comme prince, et qui depuis a reconnu comme roi, que la pensée est une puissance et que le talent est une liberté.

Quand la méditation se fixe sur M. Casimir Delavigne, quand on étudie attentivement cette heureuse nature, on est frappé du rapport étroit et intime qui existe entre la qualité propre de son esprit, qui était la clarté, et le principal trait de son caractère, qui était la douceur. La douceur, en effet, est une clarté de l’âme qui se répand sur les actions de la vie. Chez M. Delavigne, cette douceur ne s’est jamais démentie. Il était doux à toute chose, à la vie, au succès, à la souffrance ; doux à ses amis, doux à ses ennemis. En butte, surtout dans ses dernières années, à de violentes critiques, à un dénigrement amer et passionné, il semblait, c’est son frère qui nous l’apprend dans une intéressante biographie, il semblait ne pas s’en douter. Sa sérénité n’en était pas altérée un instant. Il avait toujours le même calme, la même expansion, la même bienveillance, le même sourire. Le noble poëte avait cette candide ignorance de la haine qui est propre aux âmes délicates et fières. Il savait d’ailleurs que tout ce qui est bon, grand, fécond, élevé, utile, est nécessairement attaqué ; et il se souvenait du proverbe arabe : On ne jette de pierres qu’aux arbres chargés de fruits d’or.

Tel était, monsieur, l’homme justement admiré que vous remplacez dans cette compagnie.

Succéder à un poëte que toute une nation regrette, quand