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THÉÂTRE EN LIBERTÉ.

Turacar, qui fut roi, sauva le peuple arnaute.
Un guide est nécessaire aux caravanes ; ôte
Le pilote aux vaisseaux, l’eau va les submerger ;
Est-ce que le troupeau ne suit pas le berger ?
L’état vivre sans chef ! l’homme vit-il sans tête ?
Une boussole est donc de trop dans la tempête ?
La famille a le père et le peuple a le roi.
On sent quelqu’un de bon vivre au-dessus de soi.
Ce qui fait grands les rois, c’est que Dieu les complète.
Leur diadème est nimbe, et leur sceptre est houlette ;
S’ils retournent le glaive, à genoux ! c’est la croix.
Je vois Dieu. J’obéis, de même que je crois.
Moïse monte et Dieu descend. De leur rencontre
Sort réclair et jaillit la loi. Que dire contre ?
Lis la bible. Comprends le dogme ; le salut
Est dans ce livre saint, si profond qu’il fallut
Un Dieu pour le dicter, des spectres pour l’écrire.
Car le prophète était fantôme, et son délire
Était la vision du ciel démesuré.
Les mages semblaient fous dans Ur et dans Mambré,
Mais du Seigneur pour eux telle était la largesse
Que, la raison éteinte, ils gardaient la sagesse.
De là le Livre, écrit par ces grands inspirés.
Le roi, quand des vieux temps on gravit les degrés,
Tient au juge, et le juge adhère au patriarche.
Et, depuis six mille ans qu’Adam s’est mis en marche,
Le genre humain soumis suit les rois. C’est ainsi.
Et qu’as-tu maintenant à répondre ?

SLAGISTRI.

Et qu’as-tu maintenant à répondre ? Ceci,
Que j’étouffe. Oh ! parfois, je m’en vais dans les plaines
Et j’ouvre ma poitrine aux sauvages haleines,
Farouche, à pleins poumons, comme l’aigle et l’eider,
Je voudrais aspirer les ouragans… — Pas d’air !
Tout est prison. Dans l’eau des lacs, dans les vallées,
Sur les pics, dans les fleurs qui me semblent foulées,
Dans l’herbe et le buisson, dans les jours, dans les nuits,
La pesanteur du maître est partout, je m’enfuis,
Je cherche cette cave obscure, et quand j’y rentre,
J’ai sur moi le mont sombre, et je sens dans cet antre
La montagne moins lourde encor que le tyran !
Je dis que, loin des flots, pays du cormoran,