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THÉÂTRE EN LIBERTÉ.

PRÊTRE-PIERRE.

On ne commence point par là. Mais par où donc
Doit-on commencer ? Dis. Réponds.

SLAGISTRI.

Doit-on commencer ? Dis. Réponds. Par être libre.
La joie avec le joug est mal en équilibre.
L’esclave a des bonheurs tremblants, vite déçus,
Et honteux, car le fouet du maître est au-dessus.

PRÊTRE-PIERRE.

Bien. Garde tes bonheurs et laisse-nous les nôtres.

SLAGISTRI.

Je n’en ai pas.

PRÊTRE-PIERRE.

Je n’en ai pas. Alors tais-toi.

SLAGISTRI.

Je n’en ai pas. Alors tais-toi. Non.

Je n’en ai pas. Alors tais-toi. Non. Il se tourne vers le peuple.

Je n’en ai pas. Alors tais-toi. Non. Ah ! vous autres,
Vous êtes contents ! Ah ! vous êtes heureux, vous !
Gais à la chaîne ! Alors ils ont raison, les loups,
D’être maigres, sans feu ni lieu, nus sous la bise,
Mourant de soif sitôt que la rivière est prise,
Las, affamés, errants l’hiver, errants l’été,
Et d’avoir la misère, ayant la liberté !
Ah ! le chien est content du bâton, et le lèche !
Donc tout est là ! Gratter la terre avec sa bêche,
Récolter, assister à l’office divin,
Aller vendre au marché de la viande et du vin
Pour les seigneurs, des fleurs et des fruits pour les dames,
Puis revenir, danser, et boire, et faire aux femmes
Des enfants qui seront des esclaves ! des fils
Qui de la servitude aimeront les profits,
Et qui n’auront, devant les rois que Rome acclame,
Pas de révolte, pas de blasphème — et pas d’âme !