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THÉÂTRE EN LIBERTÉ.


XI

GABOARDO. — GOULATROMBA.
Goulatromba est assis sur un banc, rêvant avec mélancolie.
Gaboardo lui frappe sur l’épaule.


GABOARDO.

…………………………………… Que fais-tu là ?

GOULATROMBA.

…………………………………… Que fais-tu là ? Je suis
Un être qui médite au sein profond des nuits.
Je m’amoindris, mon cher ! je songe à mes désastres.
Ami, je sens s’user mes habits sous les astres,
Ma peau sous mes habits, mon âme sous ma peau ;
Mon chapeau sur mon front, mon front sous mon chapeau
S’usent. À chaque instant notre moi meurt et tombe.
La vie à petit bruit nous râpe dans la tombe.
Nous sommes des haillons cachant des ossements.
Nous fûmes autrefois des maroufles charmants,
Et l’on disait de nous : — Ces gueux ont des Lucindes !
Les truffes et l’amour, les femmes et les dindes,
La jeunesse, les chants, le vin, tout est pour eux ! —
Aujourd’hui, nous avons des aspects douloureux.
Le temps, vieux juif, prend l’homme avec sa patte infâme,
Et nous lime, et nous rogne, et rend à Dieu notre âme
N’ayant plus d’effigie et n’ayant plus le poids.