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MAGLIA



I

Un seul jour ne fait pas un homme tel que moi.
Ah ça, duc ! croyez-vous bonnement qu’il suffise
Que Palémon se soit amouraché d’Orphise
Et l’ait conduite à l’antre où Didon s’oublia,
Pour produire un beau jour le seigneur Maglia ?
Altesse, il m’a fallu des revers, des traverses,
De beaux soleils, coupés d’effroyables averses,
Être pauvre, être errant et triste, être cocu,
Et recevoir beaucoup de coups de pied au cu,
Avoir des trous l’hiver à mes grègues de toiles,
Grelotter, et pourtant regarder les étoiles,
Pour devenir, après tous mes beaux jours enfuis,
Le philosophe illustre et profond que je suis.
Oui, savoir vivre seul, songer près des rivières,
Empocher beaucoup moins d’écus que d’étrivières,
Servir de gros abbés au regard en dessous,
Boire avec les buveurs, aimer avec les fous,
Être très malheureux, être très misérable,
C’est ainsi qu’on arrive à ce point admirable
Qu’en moi vous contemplez et qui vous attendrit.
Le sort a travaillé longtemps à mon esprit.
Des bourgeois amoureux, bêtes, sots, économes
Et laids, font des enfants, le destin fait des hommes.
Je suis le composé d’un tas d’événements.